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13 décembre 2009 7 13 /12 /décembre /2009 10:24
SDC11013Ce fut le premier livre que j'ai lu. En avouant cela à la caissière aux yeux d'un bleu revolver de Sauramps, je ne suis pas sur d'avoir marqué des points. Je suis reparti avec un doute amer sur la raison exacte de cet échange furtif au beau milieu d'une meute de consommateurs livresques pressés et exigeants. Simple politesse, souci d'humanisme d'une militante étudiante kriviniste dans une société d'hyperconsommation ou perche tendue par une âme séduite par les poils roux et grisonnants de ma barbe de pré quadra ? En ces temps pré festifs le cœur solitaire est bien fragile et s'accroche désespérément à la moindre chance qu'il croit voir apparaître sur sa route « sin rumbesque ». Après deux, trois pardons et un coup d'épaule poli mais décidé, je poussais la porte vitrée du magasin en optant pour la première hypothèse. L'air glacial de ce 12 décembre me ramena à la réalité et à la raison pour laquelle je venais d'acheter ce bouquin. Le livre avait « marqué » la vendeuse au minois fondant et moi aussi, et c'était un « classique » effectivement.
Je me souviens que ce livre trainait dans la bibliothèque du père et qu'il était épais. Sa couverture était écornée et la glaçure vieillie et de mauvaise qualité des livres de poche se desquamait. Les pages jaunies exhalaient une odeur de tabac blond et de pain d'épice. Je crois que c'est cela qui m'a attiré car rien n'invitait à la lecture, ni les quelques lignes piochées au hasard des pages, ni le résumé au dos et encore moins l'épaisseur qui aurait normalement dissuadé tout lecteur débutant. Peut être que l'objet du déflorage avait la magie du vieux grimoire et l'attrait d'un hermétisme ancien que je jugeait à cette époque intemporel. Il y avait surement de cela. Je n'étais pas "n'importe qui" et je méritais la lecture de ce livre dont l'austérité semblait le réserver à quelques lecteurs méritants et initiés. Je me suis donc enfermé dans ma chambre avec la précieuse trouvaille et ai commencé le voyage un week end. SDC11018
Ma perception du monde en fut radicalement changée. Je me suis noyé dans la lucidité sombre d'Orwell et de ces dernières années de vie. Le livre est bleu et froid. Il est coupant comme la lame d'un bistouri. Je lui dois ma maturité politique improbable pour le pré adolescent que j'étais à l'époque. La vision angélique de l'histoire et des rapports entre nations avait volé en éclat. Orwell ne parle pas de faits historiques, de pacte germano soviétique, de propagande, ni de Shoah.... Il parle de ces tripes et de sa chair meurtrie par les désillusions de sa jeunesse militante viscéralement engagée. Il en parle sans mentionner Guernica ou les brigades internationales, il en parle avec l'odeur du vrai café et la douceur de la peau d'une femme. Il en parle avec l'ulcère verruqueux de Winston, son personnage principal.
Le monde qu'il décrit est proche de nous mais toujours décalé, juste à côté dans le tréfonds de nos peurs collectives. Il est pourtant là bien réel, palpable et dérangeant. C'est la force du bouquin. Chaque vendeur de soupe politique y piochera ses argumentaires éphémères et opportunistes, mais ne s'y attardera jamais trop longtemps car le « fil » du livre reste tranchant. Le risque de blessure est permanent et le GRAND FRERE n'est jamais très loin avec ces oxymores systématiques, ces télécrans de surveillance, ces ministères à l'intitulé antinomique : identité nationale, développement durable...
War is Peace, Freedom is Slavery, Ignorance is Power
 Big Brother is watching you !
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